Une écologie décoloniale - Malcom FERDINAND

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Quelle claque ce livre de Ferdinand ! Moi qui suis femme, blanche, écologiste... Je suis à la fois dominante et dominée, je pensais avoir une réflexion du monde, alors qu’il me manquait une partie de ce monde.

Temps de lecture estimé : 6 mn

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Dominante car blanche, cultivée et éduquée, française. Dominée car femme.

Je suis féministe depuis petite, et mon féminisme a beaucoup évolué. Alors que j’avais moi-même des biais sexistes dans ma vie (qui n’en a pas !), mais j’essaye de les voir et de les sortir de mes réflexions et habitudes. Par exemple, j’ai longtemps pensé que les réunions non-mixtes pour les femmes n’étaient pas nécessaires.
Puis j’ai écouté celles qui les revendiquaient. J’ai dans un premier temps pensé : « ok moi ça va, mais s’il y a des personnes pour qui c’est nécessaire, pourquoi empêcher cet outil ? ». Comme pour la parité, les réunions en non-mixité sont un outil. Après, j’ai assisté à des réunions non-mixte, j’ai travaillé avec des femmes : quelle claque ! Oui c’est nécessaire, même quand, comme moi, on pense qu’on n’en a pas besoin.

J’ai subi des remarques sexistes dans ma vie. Je les ai plus ou moins analysées comme telles - parce que des fois souvent, on se demande si cela ne vient pas de nous, si on n’est pas réellement nulle après tout, ou si on est vraiment à notre place. J’ai aussi subi du harcèlement public. C’est à dire quand les puissants s’acharnent à te rabaisser via leurs moyens : la presse, leurs positions de pouvoir.

C’est ce cheminement qui m’a sans doute permis de comprendre, dans ma chair, ce qu’est l’oppression. Et ce qui me permet d’entrevoir ce que peut être la discrimination envers les personnes racisées. J’emploie ce terme à l’instar de l’auteur : « Loin de l’essentialisation a priori de l’anthropologie scientifique du XIXe siècle, par les termes "Noirs", "Rouges", "Arabes" ou "Blancs", je me réfère à la construction de la hiérarchie raciste de l’Occident qui a abouti à ce que plusieurs personnes sur Terre aient pour condition d’être associées à une race, inventant des Blancs au-dessus des non-Blancs. Du fait de cette dissymétrie, par le terme "racisé", je me réfère à ces autres, non-Blancs, dont l’humanité a été et est mise en question par ces ontologies raciales, et qui se raduite de fait par une essentialisation discriminante. », même s’il y a des débats parmi les personnes concernées sur l’usage de ce terme. Ne l’étant pas, je me plie au choix de Malcom Ferdinand. [1]

J’avoue, quand j’ai lu l’intro, j’ai eu des réflexes de déni : « mais non, l’écologie ce n’est pas que les Blancs, il y a toujours eu une prise en compte de la planète dans son ensemble, une attention aux peuples premiers, des prises de position anti-racistes ». Ah ah, comme j’étais naïve. Et comme je me suis fait penser à ces hommes qui expliquent aux femmes que non, il n’y a pas de sexisme...

J’ai donc rangé de côté ces pensées, et continué ma lecture. J’en étais alors qu’au prologue - le livre fait plus de 400 pages bien serrées, et est tiré de la thèse de l’auteur.

Entrons dans le vif du sujet

La première partie - sur quatre - est un rapide retour sur la colonisation et les violences environnementales qui en ont découlé. En gros, la colonisation, ce n’est pas seulement l’asservissement des personnes et la volonté de les dés-humaniser, c’est aussi une manière d’habiter la terre, de non-habiter la terre en fait.
Les européens sont arrivés, ont dit ça c’est pour nous, on va tout raser et mettre des plantations de cannes à sucre, parce que le sucre c’est bon. Et pour s’en occuper, on va mettre des gens qu’on ne paiera pas et qui ne sont pas d’ici.
Imagine-t-on ce qu’est d’être déraciné à ce point ? Arraché à sa terre natale, à son peuple, à ses croyances mêmes. Pour arriver sur des terres déjà occupées mais remises à zéro comme dans un jeu vidéo. Un terrain de jeu. Qui a surtout déshumanisé les Blancs.
La Terre colonisée est donc coupée des peuples qui l’habitaient, massacrés par les colons et les États colonisateurs, autant que de ses écosystèmes, brisés pour y mettre des plantations, sans considération pour l’équilibre naturel.

J’ai d’ailleurs découvert « La Tempête » de Shakespeare : bien raciste - c’est de là que vient Caliban dans le livre « Caliban et la sorcière » de Federici - et sa ré-écriture par Césaire "Une tempête" : jouissif.

Dans la deuxième partie, on parle environnement, écologie, et comment les discours environnementaux peuvent mettre des côté les gens. Et pas seulement les écolos du siècle dernier. Aujourd’hui encore, de nombreux auteurs (je ne féminise pas, hein, vous comprendrez pourquoi), pensent les habitantes du monde comme étant uniformes. Par exemple, qu’on pourrait toutes et tous vivre heureux ensemble, si seulement on arrêtait de sur-consommer et de rejeter des gaz à effet de serre. Mais le racisme ne disparaîtrait pas pour autant ! Penser que tout le monde est sur un plan d’égalité, quand on est Blanc (et homme), c’est occulter les mécanismes de rejet des personnes racisées, tout comme des femmes, et bien sûr d’autant plus pour les femmes racisées (oui, on parle d’intersectionnalité, là). Penser l’humanité comme les Terrestres et les non-Terrestres, comme le fait Bruno Latour par exemple, occulte entièrement les rapports de domination entre les gens.
Une autre manière de faire de l’écologie sans les gens est de dire « maintenant on fait de l’écologie » en oubliant que des personnes, pour survivre, ont dû faire avec les moyens qu’on leur laissait... Alors oui, utiliser du charbon de bois pour se chauffer et cuisiner c’est pas top, mais est-ce qu’on a laisser le choix ? Les Blancs arrivent, pillent les ressources, relèguent les gens au fin fond d’un territoire, d’une île par exemple, et aujourd’hui on dit aux personnes que c’est mal d’utiliser du charbon de bois ? Mais les Blancs ont une énorme dette, donc c’est à nous de donner des moyens pour vivre de manière harmonieuse avec son environnement. Et déjà, si on rendait les terres à ceux qui les habitent, ce serait un début. Toutes les terres, et des terres restaurées, ré-habilitées (ça me fait penser à Total qui a des industries, y compris en France, qui polluent les terres, les eaux et les airs, qui partira quand ce ne sera plus rentable, et bon courage à ceux qui restent). L’exemple donné était Haïti, mais il y en a tant d’autres...

Cette écologie qui arrive après avoir chassé les peuples n’a pas compris comment nous pourrions fonctionner ensemble sur terre. Il ne s’agit pas de sanctuariser des espaces où l’être humain n’aurait pas le droit de vivre : l’humain fait partie de la Nature. Nous devons au contraire apprendre à habiter avec la Nature, à cohabiter avec les non-humains. Nous ferions donc bien de nous inspirer de tous les peuples que nous avons chassé de leurs terres : en Amérique, en Australie, en Afrique...

Cette partie contient un petit taquet sur le chlordécone, et ce petit rappel fait du bien.

La troisième partie parle des personnes qui ont fait d’autres choix pour aller vers un autre monde : ouf ça fait du bien !
Des Marrons qui fuient le Plantationocène aux Blancs qui ont refusé l’esclavagisme et reconnu comme leur semblables les esclaves en fuite, c’est le début de l’écologie décoloniale. On y parle par exemple de Thoreau, qui n’occulte pas le marronage... Mais les écrits sur Thoreau, eux, on fait l’impasse sur cette réflexion !

Enfin, la quatrième partie propose de faire Monde ensemble.
Mais on se rend vite compte que toutes les solutions ne se valent pas... fuir le monde, calquer un modèle unique sur notre monde multiple, détruire les autres... Seraient autant de possibilité de vivre sur Terre.
Malcom Ferdinand propose lui une écologie décoloniale, une politique de la rencontre avec l’autre, faire corps avec le monde, penser la cause animale et instaurer la justice : justice climatique, réparations et restitutions décoloniales seront les étapes nécessaires pour vivre ensemble sur notre Terre, et l’habiter ensemble.

conclusion

Tout le livre de Ferdinand est une longue métaphore des navires négriers avec une belle recherche stylistique. Sortir de la cale pour aller sur le pont de la justice : n’est-ce pas ce qu’on puisse espérer de plus beau ?

« Dans un monde moderne qui n’a cessé de rappeler l’infériorité de celles et ceux avec qui je partage une peau Noire, c’est une tâche incommensurable de se découvrir digne d’amour, doué de parole et capable de penser. »

Mais c’est tellement ce qui nous freine aussi, les femmes ! Et il y a tant de chemin à parcourir pour y arriver. Mais ce que je vois du monde aujourd’hui, malgré les soubresauts racistes et réactionnaires, c’est un grand empuissantement des personnes mises à l’écart. Mon optimisme triomphera toujours !

[1personnellement, une personne qui m’a vraiment aider à prendre conscience à la fois des discrimination envers les Noires, et où j’ai aussi appris à fermer ma g..., c’est Mrs Roots : suivez son compte, achetez ses livres.

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