L’art de faire semblant de comprendre de travers

Conseil municipal du 9 octobre 2020. Au milieu de 46 délibérations (peu), et de nos 14 interventions (pas mal), une se démarque des autres : c’est l’avis sur l’enquête publique concernant Rabas Protec.
Mais sur ce sujet comme sur bien d’autres, nos propos sont caricaturés.

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Saint-Nazaire, ville industrielle aux bateaux géants et autres industries.

Saint-Nazaire, ville industrielle aux bateaux géants et autres industries

Parmi elle, Airbus. Multinationale à l’activité peu appréciée des écologistes, elle s’est bien sûr bâti sur la sous-traitance de sous-traitance, permettant de déléguer certains travaux... Et les contraintes juridiques qui vont avec.

Un exemple de ces dernières années est l’utilisation du Chrome VI, composé contenu dans le chromate de strontium, interdit depuis 2019 par l’Union Européenne (directive Reach).
Ce composé est combattu par de fantastiques associations de riveraines, qui fournissent un travail très pointu, et que nous tentons de soutenir, ou d’amplifier leur combat.

Ce composé est utilisé par Rabas Protec, filiale de Rabas, client exclusif de Stelia, filiale d’Airbus (ça va, vous suivez ?). À l’origine, Rabas est une famille de Méan Penhoët, mais l’entreprise a été revendue en 2018.

C’est donc une enquête publique pour une nouvelle chaîne de montage qui est en cours, et sur lequel le conseil municipal doit donner son avis.

En 2017, c’était sur Stelia que le conseil devait donner son avis. Les élues EELV avaient alors réussi à convaincre la majorité d’émettre des réserves à l’avis favorable et la majorité nous avait convaincu d’émettre un avis favorable avec ces réserves.

Bref, un beau compromis où nous donnions un avis favorable mais il fallait que des solutions industrielles soient trouvées pour remplacer le Chrome VI d’ici 2019, date effective de l’interdiction de la molécule (cela faisait quelques années que l’interdiction à venir était connue).

Et nous voilà en 2020, le chrome VI est toujours utilisé, et ce n’est que quelques jours avant le conseil qu’un article de presse sur Rabas annonce que oui, il existe un produit qui pourrait remplacer le chrome VI, mais il faut encore faire des tests, voyez-vous.

Nous sommes donc au conseil municipal, avec l’intention de bien structurer nos oppositions : protection de l’environnement, risque d’inondation, de la santé des riveraines, des travailleurses, la responsabilité d’Airbus.

Et en épluchant le dossier de l’enquête public, je vois qu’une association a relevé que le PLUi n’autorisait pas les entreprises à risque (les ICPE, pour parler technique) sur ce terrain.
Mais oui ! Encore un truc qu’on avait réussi à obtenir lors du mandat précédent, pour le PLUi adopté en 2019 : plus d’ICPE dans le quartier. Bien sûr, on se doutait que la majorité n’allait pas demander à Rabas de partir, mais ça permettait d’en éviter de nouvelles.

Je profite donc de l’occasion pour bien souligner que finalement, ce ne serait que respecter le règlement, le Plan Local d’Urbanisme, que de laisser Rabas dans le quartier.

Et quand on voit la proximité de l’entreprise avec l’estuaire (Rabas est près de Stelia qui donne littéralement sur une vasière d’une importance écologique très importante), il me paraît judicieux de préciser que si Rabas pouvait bouger ailleurs sur le territoire, moins près des habitations (20m pour les plus proches), ce serait sans doute mieux. On a assez de terrains industriel pour leur trouver une place... Et pourquoi pas sur le terrain d’Airbus ?

Erreur fatale !

Pourquoi je suppose toujours que nous serons dans un moment d’échanges argumentés ?

Le maire en profite pour me répondre sur ce point, et seulement sur ce point. Mais pensez-vous qu’il me préciserait que c’est seulement pour les nouvelles entreprises, voire me rappeler que nous avons voté le PLUi en sachant bien que Rabas était déjà là ?

Non, ce serait un peu trop constructif...

La première réponse, celle de l’adjoint en charge de ces questions, laisse entendre que je souhaitais une délocalisation en Afrique (ce fantasme d’une Afrique pauvre, sans écologie et sans moyen de lutte... Bref).

Je ne sais toujours pas s’ils pensent vraiment que je pense cela, ou si c’est pour caricaturer mes propos ?

Comme je suis bien sympa, je reprends la parole pour corriger ce propos (et du fait de ce stupide règlement intérieur, le maire me dit bien qu’il me fait une grande faveur en me donnant de nouveau la parole. Trop généreux), et préciser que bien évidemment, il ne s’agit pas de délocaliser, mais de déplacer sur le territoire.

N’est-ce pas un regard intimidant ?

Et le maire de répondre tout en raillerie, que je voudrais la mettre sur des terrains bords à l’eau alors que l’entreprise n’en a pas besoin, et où je pourrais bien la mettre ? Au Carnet, peut-être ?

Après une réponse proposant mes services (ok, de manière un peu ironique) pour trouver un emplacement, et soutenir le regard se voulant intimidant du maire, j’étais plutôt contente de mon intervention (bon, j’ai un peu bafouillé, et les mots choisis n’étaient pas les plus exacts). Celle de mes collègues, insistant sur le rôle du donneur d’ordre, et sur l’aspect santé, me rendaient aussi très fière.

Hélas, c’était sans compter que la presse ne retenait que ce qui faisait débat... Et donc plutôt que de parler des arguments sur le dossier, ce sont les coups de menton qui sont relayés.

Cela m’a un peu miné le moral : un seul argument un peu différent, et on ne parle que de cela. J’ai beau avoir plus de dix ans (quinze ?) de politique derrière moi, je me laisse encore avoir par ce genre de subterfuge qui permet de contourner le débat.

Peut-être parce que pour moi, la politique, ce n’est pas ça ?