Tout peut exploser - Paul Poulain

Quand on commence ce livre on a peur, mais quand on l’a fini, on a l’impression d’avoir plus de moyens d’agir. On a même l’impression d’être une experte des risques et impacts industriels.

J’ai eu le plaisir d’avoir ce livre qui est dédicacé par Paul Poulain pour Sandrine Rousseau. C’est pas la classe ?

Dédicace de Paul à Sandrine
Temps de lecture estimé : 8 mn

En cinq parties, Paul Poulain nous montre ce qui cloche en France concernant la gestion des risques dans nos industries. Je dis en France, mais cela concerne le monde entier, et nous ne sommes même pas les plus mal loties, puisque nous exportons la plupart de nos risques dans de lointains pays.

Il y a quelques siècles

Si l’industrie existe depuis longtemps — le tissu, le métal —, le capitalisme industriel, lui, est plus récent.
La législation a bien su évoluer pour accompagner cette montée de l’industrie contre la population, notamment « grâce » à Napoléon. En 1794, l’explosion de la poudrerie de Grenelle a entraîné le décret de 1810 relatif aux manufactures.

Un décret qui réglemente l’installation des industries pour qu’elles ne soient pas trop près des habitations. Oui, mais, tout comme les quotas carbone, cela est aussi une sorte de droit à polluer : Si l’industrie respecte l’éloignement, les riveraines n’ont plus de leviers pour attaquer l’entreprise en cas de rejet de fumées irritantes ou de rejets polluants.

Car au XVIIIe siècle, s’il y avait des odeurs suspectes, les habitantes pouvaient envoyer la police de quartier, et cela se réglait localement. Avec une réglementation nationale, cela donne plus de possibilités aux industries de faire valoir leurs intérêts, puisqu’elles ont plus de moyens de pression au plus haut niveau de l’État, voire même qui prennent des postes politiques, comme Chaptal, chimiste et propriétaire d’usine, qui deviendra Ministre de l’Intérieur — pourquoi se gêner ? — et rendra un rapport sur les nuisances des nouvelles industries.
Autant confier à Total un rapport sur les nuisances du raffinage...

Cette possibilité qui a été ôtée aux populations locales m’a ouvert les yeux : transférer plus de compétences localement, c’est aussi favoriser l’avis des riverains et riveraines. Même les communes devraient pouvoir avoir plus de poids dans ce que font les industries. Aujourd’hui, leur action est vraiment limitée. Si elles avaient du poids, cela permettrait aux électeurs et électrices de voter pour des listes municipales qui défendent plus la santé que les industries ! À condition de ne pas céder aux sirènes de l’emploi.

Retour sur les derniers grands accidents industriels en France

1906, explosion de la mine de charbon à Courrières ; 1966, explosion de la raffinerie de Feyzin, 2001, explosion d’AZF à Toulouse, 2019, incendie de Lubrizol à Rouen...

Sans compter Seveso en Italie qui a donné naissance aux lois du même nom, Bhopal en Inde pour les plus emblématiques, mais qui ne sont que quelques unes des nombreuses catastrophes industrielles répertoriées.

Pensez-vous que ces accidents aient fait évolué la législation pour protéger la population ? Que nenni !

Il y a surtout des stratégies des groupes industriels pour minimiser les conséquences de ces catastrophes sur la santé des habitantes : l’impact de la consommation de tabac sur la santé, les rejets polluants dans l’air, les pesticides dans la terre qui s’infiltrent dans l’eau...

Les industries minimisent les risques, et sont appuyées par les préfectures, donc par l’État. Comme d’habitude, le choix de l’emploi prime sur celui de la santé, de la vie ! Celles-ci relaient complaisamment les communiqués de presse officiels des groupes, ne mettent aucun suivi sanitaire en place après un accident industriel. Aucune recherche n’est financée pour analyser les risques des « effets cocktails [1] ». Bref, la volonté politique semble plus vouloir protéger l’économie industrielle que la santé humaine, sans compter la pollution de l’eau, de l’air, de la terre et l’impact sur la biodiversité.

Et on ne parle souvent que des accidents les plus dévastateurs, mais de nombreux incidents arrivent quotidiennement, dégradant lentement mais sûrement notre environnement et notre santé, parfois à long terme, parfois de manière très brutale comme avec les cancers pédiatriques.

L’industrie : pour faire quoi ?

Si certaines industries peuvent être nécessaires — comme par exemple la construction de bateaux pour le transport maritime, les grandes éoliennes, ou encore la fabrication de silicium — il faut reconnaître que beaucoup produisent des produits nuisibles pour l’environnement, notre santé, et la société.

Nitrate d’ammonium

Le nitrate d’ammonium par exemple, ou ammonitrate, est extrêmement dangereux et explosif. De nombreux accidents ont déjà eu lieu, de l’usine AZF à Toulouse à l’explosion de Beyrouth. L’usine Yara de Montoir est également citée, ainsi que Michel Le Cler de l’excellente association ADZRP et membre de la coordination des associations riveraine des sites SEVESO. Pourtant, nous continuons à l’utiliser et le stocker abondamment. Et tout ça pour quoi ? Pour l’utiliser dans des engrais de synthèse, pour favoriser donc l’agriculture industrielle.

Une agriculture qui stérilise les sols, appauvrit les paysans devenus « exploitant agricole », mais peut-être devrions nous dire « exploiteur agricole », détruit la biodiversité et l’agriculture vivrière partout dans le monde, tout la faisant passer d’une activité plutôt féminine à masculine.

Ce type d’industrie a donc faux sur toute la ligne !

Nucléaire

De même, l’industrie nucléaire est profondément dangereuse, avec de nombreux incidents, pour éviter de se poser la question de notre sur-consommation électrique en France, en Europe.

Paul Poulain est certain de vivre une catastrophe nucléaire en France. Oui, nos centrales sont anciennes, ont largement dépassé leur temps de vie. Non seulement les sites eux-mêmes vieillissent, mais nous perdons également beaucoup de compétences. L’appel à de la sous-traitance n’est pas fait pour améliorer les choses !

Sur la question du nucléaire, nous faisons l’autruche. Pourtant, ce sont des dizaines de milliards qu’il faudrait dépenser pour simplement maintenir les centrales existantes. De l’argent qui ne sera pas mis dans la production d’énergies renouvelables.

Nous sommes dans une fuite en avant, ou plutôt que de remettre en cause ce modèle centralisateur, risqué, mais qui a fait la « fierté française » — au même titre que le minitel... Nous préférons remettre de l’argent dans des projets qui ne marchent pas. Le fiasco de l’EPR fait doucement rigoler dans les milieux anti-nucléaires, mais plutôt que de mettre le holà, M. Macron a annoncé en construire plusieurs autres. Pourquoi se planter une fois, quand on peut le faire six fois ?

Et d’autres...

Paul Poulain consacre également un chapitre sur les risques liés à l’hydrogène et au lithium, puis à la méthanisation : encore un domaine très lié à l’agriculture industrielle. Si nous passions à une agriculture paysanne et biologique, ce serait autant de risques en moins, tout en développant une nourriture plus saine pour la terre et pour les humains.

Le manque de moyens : pour agir !

Ce problème du vieillissement et de la perte de compétence n’est pas spécifique au nucléaire. La priorité faite à l’économie au détriment de la santé et de la biodiversité entraîne de la sous-traitance dans tous les domaines, et une réduction drastique des structures de contrôle. Les inspecteurices sont de moins en moins nombreuses pour contrôler nos 500 000 sites SEVESO (et on ne parle pas des sites dangereux ICPE mais non classés Seveso, qui eux ne sont jamais contrôlés). Pour les inspecter une fois tous les 5 ans, il faudrait 9000 personnes... Alors qu’il n’y a que 1200 équivalents temps pleins ! Un effectif qui avait diminué ces dernières années. Même l’accident de Lubrizol n’a pas tellement changé les choses : nous revenons à peine au niveau de contrôle de 2007. Cette baisse de moyens touche également les pompiers.
À ce niveau de sous-effectif, il s’agit clairement d’une stratégie pour ne pas empêcher les industries dans leurs pratiques.

De plus, les organisations étatiques ont rassemblé plusieurs directions au sein de la DREAL, ce qui s’est traduit par une baisse du temps pour les inspecteurices pour chaque dossier, où nous sommes moins bons que les pays européens.

Il arrive même que les inspecteurices soient empêchés d’entrer sur les sites industriels ! Et les syndicats ne sont pas prévenus des visites : il n’y a donc pas de liens faits pour les salariées, qui restent dans l’ignorance des préconisations de l’État.

Sans compter le manque de formation scientifique et industrielle des préfectures, des élues, mais aussi des métiers de l’inspection.

La sous-traitance est aussi factrice de négligence, puisque les compétences sont diluées... Tout comme la responsabilité !

Impact sur la santé

Une grosse partie est consacrée aux impacts de ces industries : augmentation des cancers dans les zones industrielles, y compris des cancers des enfants.

C’est aussi la pollution des sols après des activités industriels qui est mise en cause. Il n’y a pas de dépollution prévue, même quand on y construit ensuite des écoles ou des jardins publics !

S’il y a une mobilisation des parents, alors peut-être que des choses seront faites... Mais une fois l’établissement construit, que faire ?

Nous sommes encore confrontés à des intoxications au plomb à cause de ces nombreux sites pollués, y compris sur des jardins ouvriers, à Nantes par exemple.

La pollution au phosphore du fait de l’élevage intensif a entraîné des phénomènes type algue verte, dont les enjeux ont été très bien décrit dans le roman graphique de Inès Léraud et Pierre Van Hove.

Enfin, il s’agit parfois de risques d’effondrement. En Île de France, de nombreuses carrières n’ont pas été remblayés, entraînant des risques d’affaissement sous les logements. Évidemment, les personnes qui achètent leur logement dans les Yvelines ou les Hauts de Seine ne sont pas informées des risques d’effondrement du sous-sol.

Justice environnementale ?

Le green washing de plusieurs entreprises est ensuite décrypté, de même que l’exploitation des salariées qui risquent de se faire renvoyés si des pratiques sont dénoncées. Sans compter les risques qu’iels prennent dans le cadre de leur travail.

Non seulement nous ne faisons pas assez pour protéger en amont, mais en plus rien n’est fait quand l’accident a lieu ! Les amendes sont dérisoires pour les industries, qui préfèrent largement budgéter une enveloppe pour payer les amendes que d’investir pour améliorer la sécurité des sites industriels.

Les écologistes demandaient la mise en place d’un crime d’écocide. Le gouvernement Macron a concédé un délit seulement : pas suffisant pour sanctionner les entreprises, d’autant qu’il faut prouver que la pollution est volontaire, alors qu’il s’agit souvent de négligence, d’accidents, du fait de moyens insuffisants.

Conclusion

Le livre se conclut sur un chapitre sur l’éducation aux risques industriels. À l’heure où beaucoup défendent le nucléaire au nom de la lutte pour le climat, combien de personnes mesurent les risques encourus, le coût que cette industrie implique, et le manque de démocratie de cette source énergétique ?

Combien de militantes écologistes vivent dans des zones industrielles ? Très peu, en vérité. Et les riverains des zones Seveso ont très peu d’informations - et l’information officielle est toujours rassurante. Tant qu’il n’y a pas d’association de vigilance, on peut croire qu’on vit de manière tout à fait sécurisée.

Pourtant, des choses se mettent en place. Au collège Jean Moulin à Saint-Nazaire, un chapitre est consacré aux risques industriels, aux Plans de Prévention des Risques Technologiques et autres.

Mais les élues locaux ne sont pas suffisamment formés. C’est parce que je suis écologiste que j’ai pris le temps de m’informer, de manière tout à fait fortuite, lors d’un vote sur une ICPE qui ne respectait pas les normes de rejet des eaux.

Certains jouent avec le feu, et ce sont les citoyennes qui se brûlent. Alors, on change tout ça ?


Pour aller plus loin :

[1des molécules qui sont inoffensives seules peuvent être dangereuses associées les unes aux autres.

Un message, un commentaire ?

modération a priori

Ce forum est modéré a priori : votre contribution n’apparaîtra qu’après avoir été validée par un administrateur du site.

Qui êtes-vous ?
Votre message

Pour créer des paragraphes, laissez simplement des lignes vides.