Le prix de la démocratie - Julia Cagé

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Ce livre de Julia Cagé sorti en 2019 montre comment nos démocraties financent le débat politique. Spoiler : on finance surtout les préférences politiques des plus riches.

Temps de lecture estimé : 4 mn

Si l’ouvrage de Julia Cagé prend en compte les données de plusieurs pays (Allemagne, Angleterre, États-Unis, France, Italie), je vais ici retracer seulement ce qui se passe en France, et les propositions finales.

Le financement de la politique en France prend plusieurs aspects : financement des partis politiques, des campagnes électorales, des cercles de réflexion politique aussi appelées think tank.

Ce qui est démontré dans le prix de la démocratie, c’est que les campagnes électorales où est dépensé le plus d’argent bénéficient de voix supplémentaires. Quelques pourcentages qui peuvent faire basculer une élection, et c’est ainsi que l’on constate que le financement joue sur la représentation politique.

Non seulement dépenser plus permet de gagner quelques voix, mais les plus riches profitent à plein du financement public des partis politiques.
En France, les dons et cotisations aux partis politiques bénéficient d’une déduction fiscale de 66%, comme pour les associations d’intérêt général. Mais cet avantage ne bénéficie qu’à ceux et celles qui payent des impôts, soit moins de la moitié des foyers fiscaux !

Quelques chiffres : en 2016, à peine 300 000 foyers ont fait des dons à des partis politiques, soit 0,79% des foyers fiscaux. Mais si on regarde les 0,01% plus riches, ce sont 10% des foyers qui ont fait un don : les plus riches donnent plus aux partis politiques, comparativement à l’ensemble des foyers (et je ne pense pas qu’ils et elles donnent beaucoup au parti communiste).

Le montant des dons aux partis politiques est 1,5 fois plus élevé que le financement public. C’est un apport très important pour les partis ! Sur 56 millions d’euros de financement public total des partis politiques, les déductions fiscales des 10% les plus riches représentent 33,5 millions d’euros.
La déduction fiscale est un financement direct à ces dons. L’argent publique finance donc directement les préférences politiques des plus riches.

De plus, toutes les personnes non imposables payent plein pot leurs dons et cotisations : vous trouvez ça juste ? Cela fait plus de 10 ans que je donne de l’argent à Europe Écologie Les Verts. Je ne le regrette pas, mais j’aurais bien aimé, moi aussi, bénéficier d’une aide de l’État !

Et cet avantage fiscal, il est utilisé à fond par les foyers les plus riches. Rappelons que la limite annuel des dons à des partis politiques est de 7000€. en 2016, les plus riches ont donné 5200€ en moyenne, et cela sans compter les dons aux campagnes électorales, dont les données ne sont pas accessibles.

Quelques chiffres : En moyenne, pour les 10% des foyers les plus pauvre, les dons à des partis politiques est de 23€. Pour 80% des foyers les moins riches, les dons sont de 200€. Si on prend 90% des foyers, ce montant est de 316€. Pour les 10% les plus riches, les dons moyens montent à 2000€, et pour les 0,01% les plus riches, on arrive à 4000€ de don en moyenne !

Alors maintenant, on fait quoi ?

Julia Cagé a des propositions intéressantes pour sortir de ces problèmes. Déjà, il faut se rendre compte que le financement de la vie démocratique a une histoire récente. Rappelons-nous les valises, les financements occultes qui ne sont pas si vieux. Des expériences ont été menées dans différents pays, donc aujourd’hui, allons-y à fond pour que la vie politique soit équitablement financée !

La mesure principale sont les BED : Bon pour l’Égalité Démocratique. Il s’agit de redistribuer équitablement l’argent aujourd’hui dépensé.
Chaque citoyennes pourrait déclarer, sur sa feuille d’impôt, quel parti politique il ou elle souhaite financer. Cela ne coûte rien, mais c’est l’État qui abonde les partis politiques en fonction des choix ainsi faits.

Si on prend le total des financements des partis politiques, entre financement direct, déductions fiscales et remboursement de campagne, cela représente 175 millions d’euros. En gardant cette même somme, les BED seraient de 3,55€.

Julia Cagé propose d’augmenter cette somme à 7€ par personne, ce qui n’est pas un investissement foufou, à l’échelle du budget de l’État. Et pour éviter une trop grande dispersion ou de l’opportunisme (oh tiens, je crée mon parti pour avoir des sous), Julia Cagé propose que le versement de l’argent se fasse à condition de réunir 1% des citoyennes, soit 520 000 BED.

Les bons non alloués seraient répartis en fonction des résultats aux législatives précédentes, comme c’est le cas actuellement.

En parallèle, les dons aux partis politiques seraient drastiquement limités, à 200 ou 300€. Et bien sûr, les dons des entreprises seraient toujours interdits.

Personnellement, je trouve que cela pose plusieurs questions : quel financement pour les partis régionalistes plus concentrés sur un territoire, et donc qui pourraient plus difficilement recueillir 520 000 déclarations ?

Puisque ce fonctionnement remplace tout, comment pourrons être financées les campagnes citoyennes, qui ont fleuri aux dernières municipales ?

Mais cette proposition est posée, mérite d’être là, et donnerait un sacré souffle à notre démocratie !

Autres propositions

Dans ce livre, Julia Cagé propose aussi d’améliorer la représentation sociale à l’Assemblée Nationale. Je mets cette proposition à part, car elle ne s’appuie pas sur ses travaux de recherche comme l’est le reste du livre.

Julia Cagé propose qu’une partie de l’Assemblée Nationale (ou d’autres Assemblée représentatives) soit élue sur liste, et que ces listes aient l’obligation de respecter la répartition des catégories sociales en France. Ainsi, les listes seraient obligatoirement composées de 50% d’ouvrieres, employées et travailleurses précaires.

Elle évoque rapidement également le problème des médias et leurs financements par des entreprises privées qui orientent leurs lignes éditoriales, mais tout ceci est plus détaillé dans son autre livre, Sauver les médias, paru en 2015 au Seuil.